Il est de ces expériences cinématographiques bis dont on ne se remet pas et Mondo Cannibale en fait parti.
Nous devons ce magnifique exemple de cinéma somnifère à notre bien aimé Jesus « Jess » Franco, dont je vous ai déjà parlé avec « Une vierge chez les morts-vivants ». Alors allons-y gaiement, amusons-nous avec un film de cannibales pas comme les autres, car produit par EuroCiné, un gage de qualité (et cocorico, c’est une production franco-espano-allemande, il fallait bien 3 sources de financement pour acheter la charcuterie chez Mimile le boucher du coin).
Comme souvent avec Jess Franco, le film a été victime de retitrages sauvages et abusifs. Si Mondo Cannibale surfe allègrement et opportunément sur la vague des films de cannibales type Cannibale Holocaust, Franco aime à bouffer à tous les rateliers. Aussi, il s’est senti d’intégrer un soupçon d’érotisme, ça ne fait jamais de mal, après tout, et les titres s’en porte que mieux. Donc Mondo Cannibale s’appelle selon les jaquettes : Sexo Canibal (on gagne en sexe ce qu’on perd en « n »), White Cannibal Queen, parfois sobrement Cannibals, Une fille pour les cannibales, au Québec il s’intitule L’Emprise des cannibales, et enfin parfois l’appelle Barbarian Queen (sans raison puisqu’il n’y a aucun barbare dans ce film). Une belle brochette de titres, qui mettent en condition et donne une furieuse envie de dévorer à pleines dents ce monument du cinéma Zoporifique.
Générique : un plan fixe d’une jungle avec un fond musical ridicule que même François Feldman ferait mieux.
Et puis nous sommes à bord d’un bateau qui suit une côté sauvage mais c’est difficile à dire puisqu’un coup c’est une rivière, un autre un fleuve, et parfois un confluent. Le professeur Taylor, que j’appellerai Bob (ça sera plus commode) est un scientifique explorateur qui est accompagné de son épouse et sa petite fille. Et puis il y a aussi Gérard et sa casquette particulièrement attentif : il sent que quelque chose va se passer et il sait qu’il y a des cannibales dans le coin.
Gérard à la casquette en mode surveillance
Bob Taylor : "Je vais descendre te chercher un café" (avant que tu te fasses bouffer...) Bob et sa conjointe papotent (« je vais descendre te chercher du café ») quand des cannibales envahissent le navire, dévorent la femme de Bob. Shocking ! Une scène effroyable non pas par sa violence, mais par sa lenteur. Imaginez donc une succession de gros plans couleurs sépia filmés au ralenti, dans lesquels on aperçoit vaguement la bouche de la victime, parfois les dents d’un cannibale, et si on a un peu de chance et qu’on visionne le film un vendredi 13, on verra un peu de bidoche. Rien d’effrayant, sauf que c’est long puisque Franco étire l’action sur 5 bonnes minutes montre en main. On en vient à bénir le type qui a inventé la touche « avance rapide » !
Le premier cannibal d'origine européenne agissant dans une contrée sauvage...
C’est pas le tout, mais l’action avance et il faut en profiter car ça ne sera pas toujours le cas dans ce film ! Nos chers cannibales ramènent Bob et sa fille dans leur camp. Pour fêter ça, il découpe le bras de Bob, un geste qui ne sera pas sans conséquence dans la logistique du film comme on le verra par la suite puisque du coup notre héros se retrouve manchot 15 minutes après le générique. Bon sang 15 minutes, encore 1 h 15 de métrage ! Ca va être long.
Ca va couper, chérie...
La visite du camp est pour nous l’occasion de découvrir que Franco a réellement créé un univers cannibale transcendant de réalisme. Non seulement tous les figurants sont de type caucasien : imaginez vos voisins de palier habillés en pagnes et maquillés par votre petite nièce, vous aurez une idée du truc. Franco rajoute 2-3 crânes factices, limite s’il n’a pas oublié l’étiquette du prix, et shoote le tout dans un parc, à en juger par la régularité des arbres. On est loin de la jungle vierge, de l’Amazonie farouche qui aurait pu dissimuler la tribu aux yeux de notre civilisation. Mieux : Franco, en anthropologue du dimanche, invente une langue pour ses cannibales et, afin qu’on comprenne quand même un minimum, glisse 4-5 mots français dans le bouzin. Résultat : un joli « atahuglabu-ho-ho-rigali-polu-manger-étrangers-blancs-yaba-chicani etc.» qui nous permet de comprendre que ces cannibales sont des fins gourmets malgré leur aspect assez rustre.
Le cousin Gilbert tout fier de son crâne acheté à Prisunic
Je vous le donne en mille : Bob réussit malgré tout à s’échapper car il maîtrise très bien les nœuds avec ses orteils. Non parce qu’avec une seule main, c’est d’un coup plus dur, faut bien dire. Et Bob de filer, abandonnant sa fille à la tribu qui l’a déjà considère déjà comme la « ata-oto-goulo-boulu-triflui-Déesse-Blanche-yazer-filgac » et j’en passe.
Bob retourne donc à la civilisation (jolis films urbains de la collec’ de vacance de Franco) et son témoignage dérange semble-t-il puisque personne ne veut le croire. Pourtant un bras en moins on aurait pu penser que, mais non. Et là démarre le festival des effets spéciaux, puisque notre héros Bob va devoir faire tout le film, je dis bien TOUT le film avec un bras en moins,et nous infliger des effets tous aussi pourris les un que les autres.
On commence à l’hôpital avec un effet misérable mais efficace. Et ouais, le bras sous la couverture, ça marche toujours c’est un grand classique. Mais l’illusion ne durera malheureusement pas puisque Franco va demander à l’acteur de se trimballer un pauvre boudin pendant toutes les scènes du film. Pas de chance ça se voit et c’est ridicule.
Et hop le bras sous la couverture, un effet spécial saisissant de réalisme (tout est dans le choix de la couverture) !
Oui j'ai un boudin à la place du bras, et alors !
- Mais dites, Bob, vous ne vous fouteriez pas de ma gueule concernant ce bras amputé ?
Salaud de scénariste ! Tu pouvais pas me faire amputer 3 minutes avant la fin, bordel !
Mais revenons à l’intrigue. Un flou artistique embrume le scénario : nous sommes quelques années après que la fille de Bob ait disparu. Mais Bob lui n’a pas vieilli. Sa fille, Lena, est restée dans la tribu et est devenue la femme du chef, et accessoirement la Déesse Blanche. Ne le cachons pas, Lena c’est l’élément sexy qui va permettre à Franco de refourguer son film un peu partout. Pourtant pas de quoi s’emballer : si l’actrice est fort mignonne, autant dire que jamais Franco n’arrive à rendre Lena sensuelle ou érotique. La faute à un éclairage trop sombre qui ravage toute les pellicules. C’est bien simple, par moment on ne voit même pas ce qu’il se passe. Pire : lors d’une scène érotique, l’actrice à l’air de s’ennuyer sévère.
La vie sexuelle des cannibales : je suis contre simuler l'orgasme et je le prouve ! Un des rares plans téton correctement éclairé
Bob veut monter une expédition pour retrouver sa fille, mais personne ne veut le croire hormis une infirmière. Reste la bizarre directrice de l’hôpital qui invite Bob à raconter son périple dans le parc, non pardon la jungle décidément je ne m’y ferais pas. S’en suit une scène hallucinante : Bob débarque devant la directrice et Charles son amant comme un cheveux sur la soupe, pendant que les deux hôtes picolent du champagne s’échangeant des clins d’œil coquins. Ils doivent partager pas mal de perversions ces deux-là puisque la directrice ne cesse de se frotter à une poutre pendant tout le dialogue avant de renvoyer Bob dès qu’il mentionne les cannibales («Allons, faites-vous soigner ! »)
La poutrophilie de sa compagne laisse Charles visiblement de marbre.
Bob, déçu, s’accroche tout de même à son idée et part avec l’infirmière sympa chercher un guide dans un bar pas loin de la jungle des cannibales ; enfin du moins on le suppose, puisque Franco nous case un stock-image de bateau, puis un autre d’avion, puis, attention attention c’est le festival de stock-images, une succession de plan d’oiseaux tropicaux. A croire que Franco en avait en réserve : il aurait du savoir pourtant que quand c’est trop, c’est tropicaux.
Les conseils de pépé Franco : en vacances, prenez toujours votre caméra avec vous !
Au premier plan, le film de vacance de Franco.
En fond, la terrible jungle vierge qui cache les cannibales...
Sauf que le guide refuse de se faire bouffer tout cru par les cannibales. Bob s’énerve et le dialoguiste se lâche : « d’accord j’ai compris. Personne ici n’a des couilles ! Allons personne ne veut m’aider ici ?!!! ». Un Charles salvateur surgit :
et s' explique : "Je sais qu’au fond mon sens de l’humour est difficile à comprendre… mais au fond je ne suis pas un mauvais bougre. L’histoire que vous nous avez raconté m’a beaucoup ému et c’est pourquoi nous avons décidé de vous aider : on a réunit absolument tout ce qu’il vous faut pour entreprendre votre expédition."
Sauf que ce que Charles n’a pas dit c’est que l’expédition ressemble à un camp vacance puisque tous les membres du groupe passent leur temps à s’amuser sous l’œil exaspéré de Bob. Le pire reste quand un groupe de donzelles dansent lassivement à bord du bateau sans qu’on comprenne réellement pourquoi sinon que ça permet de faire un plan sensuel… si l’éclaireur faisait convenablement son boulot, parce que pour apercevoir un peu de chair, il faut vraiment vraiment scruter l’écran attentivement et espérer que l’un des demoiselles passent devant une fenêtre. N’empêche qu’il est vraiment étonnant de constater que le réalisateur n’apporte même pas d’attention à ce genre de « détail » technique, pourtant essentiel…
Ces dames chassent le cannibale. Si si ... S’ensuit 30 trop longues minutes de marche dans la jungle. Au détour du parc qui constitue l’unique décor de ce périple (encore une fois), l’expédition trouve une main en plastique. Les membres du groupe comprennent rapidement que finalement c’est pas si marrant comme balade lorsqu’ils tombent sur un hameau dévasté par nos cannibales. Forcément le groupe de scinde, se perd, revient sur ses pas, se re-perd, ne retrouvent pas les voitures, et ça dure, ça dure, ça dure…
La forêt vierge selon Jess Franco
Jusqu’à ce qu’enfin, ô miracle du cinéma, ils trouvent le campement des cannibales et la Déesse Blanche non sans deux-trois scènes de bouffes barbaque sur fond sépia, je vous laisse reprendre le descriptif de tout à l’heure puisque c’est pareil. Pas de chance pour Bob, Lena ne le reconnaît pas tant elle est imprégnée de la culture tribale. Bob décide donc de se barrer en enlevant la belle, tout en laissant le groupe se débrouiller.
Ben oui, mais bon se trimballer sa fille réticente avec un bras en moins et un boudin en plus, c’est pas simple. Et Bob se rattraper par la tribu ce qui nous amène à la scène finale : le chef de la tribu veut affronter Bob dans un combat à mort pour décider qui gardera Lena. Voilà donc le final : une bagarre dans la flotte entre un chef de tribu et un Bob amputé. Heureusement Bob maîtrise le coup de boule et vient assez facilement à bout du chef, qu’il épargne le laissant repartir avec sa tribu. The End. Ouf, fin du massacre.
Combat à mort pour le coeur de Lena : l'indigène est désavantagé car il n'a pas de boudin à la place du bras, lui...
Mondo Cannibale c’est finalement l’anti-thèse d’un film : pas de scénario, pas de comédiens, pas de réalisateur, pas d’équipe, pas de décors, pas de budget. Et pourtant au final, on a un film. Mais quel film ! Un « truc » impossible à regarder sans la fonction « avance rapide » de votre lecteur ; une « chose » impossible à supporter sans un bon ami à côté de vous pour rire. Un conseil : ne vous y risquez pas seul.
Merci de votre attention, et à une prochaine fois pour un nouveau nanar.